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Arrêt action en cessation discrimination syndicale


Le 2 mars 2020, la Cour du travail de Bruxelles s’est prononcée sur une action en cessation dans le cadre de faits de discrimination sur la base de la conviction syndicale. La Cour a donné suite à la demande et imposé une action en cessation qui implique que malgré l’impossibilité de faire marche arrière par rapport à l’acte discriminatoire concernant la personne impliquée dans l’affaire, une interdiction est imposée à l’employeur de réitérer cette pratique à l’avenir vis-à-vis d’autres travailleurs. Cet arrêt souligne une fois de plus l’importance et l’utilité de la possibilité d’introduire – y compris en tant que syndicat – une telle action en cessation.

L’affaire concerne une travailleuse engagée à la RTBF qui avait “temporairement” reçu des fonctions supérieures.

« Temporairement », c’est-à-dire pour une période de 6 mois, renouvelée 15 (!) fois.

S’en est suivi, un renouvellement pour une année complète, à partir du 1er janvier 2015.

Entretemps, les fonctions supérieures qui lui avaient été attribuées ont été modifiées, tout comme l’indemnité que l’intéressée recevait dans ce cadre.

A partir de mi-octobre 2015, la travailleuse est tombée en incapacité de travail.

En exécution d’un protocole d’accord commun, à partir du 1er janvier 2016, la travailleuse a été définitivement nommée dans la fonction supérieure qu’elle exerçait temporairement depuis 2011.

Toutefois, comme une autre fonction supérieure lui avait aussi été attribuée, à partir du 1er janvier 2016, elle a continué à recevoir une indemnité correspondant à cette autre fonction supérieure.

En février 2016, le caractère temporaire de cette autre fonction supérieure a été transformé en une période de maximum 1 an, se terminant le 31 décembre 2016.

En juin 2016, la RTBF est informée par le syndicat de la travailleuse que cette dernière a été élue au poste de secrétaire politique à partir du 1er août 2016.

Le 4 juillet, la RTBF fait savoir qu’elle marque son accord sur le détachement à temps plein de la travailleuse dans son syndicat, à partir du 1er août 2016.

Dans ce même courrier, la RTBF souligne toutefois aussi que la mission temporaire de la travailleuse s’arrêtera à partir du 31 juillet 2016. En cause : l’incapacité de travail de longue durée et le détachement à temps plein.

Dans un autre courrier, la RTBF a fait savoir, le même jour, que la fonction temporaire qui lui avait été attribuée temporairement se terminerait le 1er août.

En cause (cité explicitement) : le détachement à temps plein dans son syndicat à compter de cette date.

La revalorisation a impliqué une diminution d’environ 700 euros bruts de la rémunération mensuelle de la travailleuse.

L’incapacité de travail de la travailleuse a pris fin le 5 août 2016.

En septembre 2017, la travailleuse et son syndicat introduisent une action en cessation auprès du président du Tribunal francophone de première instance de Bruxelles. Plus spécifiquement, ils demandent que l’arrêt des fonctions supérieures attribuées temporairement soit considéré comme une discrimination non-autorisée sur la base de la conviction syndicale et ils demandent au président d’imposer un arrêt de cette discrimination.

Le tribunal d’arrondissement a renvoyé l’affaire au président du tribunal du travail francophone de Bruxelles, siégeant en référé.

Ce dernier a déclaré les demandes acceptables, mais non-fondées.

Suite à quoi, le 30 juillet 2019, un recours a été interjeté devant la Cour du travail de Bruxelles.

2 Décision de la Cour du travail du 2 mars 2020[1]

La Cour du travail parcourt et analyse les dispositions qui sont d’application (comme le statut du personnel) et plus particulièrement le décret du Parlement de la Communauté française du 12 décembre 2008 relatif à la lutte contre certaines formes de discrimination.

L’une des formes de discrimination qui y est interdite (discrimination invoquée sur la base de la conviction syndicale) est la discrimination directe. C’est-à-dire le traitement moins favorable d’une personne en raison d’un motif de discrimination interdit, par rapport à une autre personne qui se trouvait, se trouve ou se trouvera dans une situation comparable.

Selon la Cour du travail, il ressort, de la nature même de l’action en cessation, qu’elle est sans objet une fois que la pratique dont la cessation est demandée, est définitivement acquise.

Néanmoins, une action en cessation est aussi acceptée dans la mesure où il y a un risque que la pratique en question ne se répète. Le juge peut en outre également imposer l’arrêt d’une politique discriminatoire.

Le syndicat allègue que les mêmes pratiques (arrêt anticipé de la fonction supérieure temporairement octroyée et revalorisation de cette fonction temporairement octroyée) peuvent se répéter à l’égard de tout autre membre du personnel qui se porte candidat pour la fonction de délégué permanent.

Ce qui peut avoir un effet dissuasif et ainsi limiter l’exercice de la conviction syndicale.

La Cour du travail déduit des faits qu’aussi bien l’arrêt anticipé de la fonction supérieure temporairement octroyée que la revalorisation de cette fonction temporairement octroyée ne sont liés qu’au détachement à temps plein de la travailleuse dans son syndicat. De ce fait, on peut établir un lien de cause à effet entre le traitement moins favorable et la conviction syndicale de la travailleuse.

Vu l’importance du dommage subi (aussi bien la perte considérable de revenus pour la travailleuse que le risque de dissuasion d’autres candidats délégués permanents), la Cour du travail estime que la pratique contestée ne peut être justifiée de façon objective et raisonnable.

La Cour du travail ordonne donc la cessation de cette pratique, ce qui revient à interdire à la RTBF que la pratique visée ne se répète.

Par rapport au non-renouvellement de la fonction supérieure temporairement octroyée, il est imposé à la RTBF de fournir des informations sur les travailleurs qui, durant les années 2015-2019, se sont vus attribuer des fonctions supérieures et sur la mesure dans laquelle celles-ci ont été – ou non – renouvelées.

3 Commentaire

Il s’agit d’un arrêt important parce qu’il montre que même si un acte discriminatoire a été définitivement acquis, une action en cessation ne perd rien de son intérêt si l’on peut montrer un risque que cette pratique discriminatoire se répète.

Cette répétition ne doit pas nécessairement concerner la personne qui a déjà été victime d’un acte discriminatoire.

L’effet dissuasif d’un acte discriminatoire orienté vers un délégué (ou candidat-délégué) par rapport à d’autres (candidats-) délégués, y compris à l’avenir, peut être invoqué en tant que syndicat comme motif pour faire imposer une telle action en cessation.


Miranda ULENS Thierry BODSON

Secrétaire générale Président

[1] AR 2019/AB/597

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